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30 juin 2011 4 30 /06 /juin /2011 09:00

Avec un peu de réticence, je viens de lire le dernier livre de Laurent Mauvignier, publié aux éditions de Minuit, "Ce que j'appelle oubli".
Réticences parce que je n'avais pas du tout aimé son dernier roman, encensé par la critique, "Des hommes" ; je lui reproche une écriture trop ampoulée, fastidieuse et laborieuse. Un quelque chose qui vient "surligner" le propos, fort passionnant au demeurant.
Réticences aussi parce que j'avais entendu quelques critiques qui parlaient du style de "Ce que j'appelle oubli", et qui louaient la tentative à nouveau de Mauvignier, qui s'extasiaient sur cette phrase unique, tenue tout au long du livre.

mauvignier.jpg"Ce que j'appelle oubli" est un texte très court qui, se basant sur un terrible fait divers, raconte comment un homme qui boit une bière dans un supermarché, sans la payer, n'en ressort plus jamais vivant, tabassé en règle et à mort par quatre vigiles. "Ce que j'appelle oubli" est un court texte constitué d'une phrase unique, et qui résonne comme un coup en plein visage, qui fait mal, qui secoue, qui laisse sans souffle ; et qui tourne en boucle dans le cerveau une fois la lecture achevée.
Une seule phrase, comme le dernier souffle d'un condamné ; dite dans l'urgence de ce que plus jamais on ne pourra exprimer.
Une seule phrase, comme la tentative désespérée du narrateur, qui s'embrouille à trouver des mots pour dire l'indicible, et comprendre cet acte qui ne peut l'être. Et les mots se chevauchent, et n'éclairent pas, ne font pas sens.
Une seule phrase, des mots qui tombent et s'entrechoquent et nous font apercevoir le rythme de la violence des coups reçus jusqu'à la mort.

Et pourtant, au milieu de ce flot ininterrompu, il y a la beauté de la langue de Mauvignier, celle qui rend ce livre "lisible" ; le choix des mots, toujours justes ; l'émotion contenue, alors que le narrateur voudrait hurler sa rage et son assourdissement.

Il y a aussi de plus en plus visible, jusqu'à prendre toute la place, le portrait d'un être humain, que l'on a nié, à qui justement on a refusé puis ôté son humanité ; et cette révolte de son ami-narrateur, comme si c'était si simple d'ôter l'humanité d'un homme, comme si on allait vous laisser faire ; et ce délire verbal pour lutter contre "ce qu'il appelle oubli".

Et finalement, c'est quoi "ce que j'appelle oubli" ?

Le moment où l'humanité se détraque, où pour une canette à peine volée on se fait cogner à en crever ?
Le moment où, à bout de force, on s'assoit au sol d'une gare en espérant que les passants ne jetent pas une pièce ?
Ou ce moment où deux regards se croisent et se reconnaissent et se promettent d'aller chercher plus loin, ailleurs, par delà les apparences ?
Ou ce risque de voir l'image d'un frère réduite à son corps démantelé dans son sac plastique de mort ?
Ou encore, ce procureur qui dit - lui qui sait - qu'on ne meure pas pour ça, pour si peu, quand même ; mais pour combien, alors ?

C'est pour et contre tout ça en même temps que Mauvignier écrit ici. Et remarquablement encore !

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commentaires

S
<br /> Très beau billet Stephanie.<br /> Je n'ai pas aimé le style mais le texte est très fort, c'est indiscutable.<br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br /> Merci Sylire !<br /> <br /> <br /> En fait, j'ai adoré ce livre ; et je ne m'y attendais pas. Il trainait sur mon bureau et j'avais pas beaucoup de place dans mon sac... tu parles d'une surprise !<br /> <br /> <br /> On en reparle mercredi, en dégustant les créations maisons...<br /> <br /> <br /> <br />

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