Comme tout le monde, je connaissais cette photo de la Guerre d'Espagne, qui surprend la mort en direct. Et comme tout le monde, je savais qu'elle était l'oeuvre de Robert Capa, présent, forcément présent sur le champ de bataille. Je savais aussi tous les engagements, tous les risques ; cette folie de photographe de s'embarquer dans la première vague du débarquement au matin du 6 juin 1944, sur Omaha Beach, et les clichés comme témoignages.
La légende "Robert Capa" ; oui, quand on s'interesse un peu à la photographie au XXe siècle, on la connait.
Toute la beauté du roman de Susana Fortes "En attendant Robert Capa" tient dans la mise à jour de ce que l'on ne connait pas. Elle réinvente un Robert Capa intime, débutant. L'auteure nous donne à voir une autre image du photographe mythique. Celle de l'amoureux, de l'homme intime.
Et puis surtout Susana Fortes met en lumière une figure sans qui Robert Capa ne serait pas : Gerda Taro, la compagne, l'amoureuse, la photographe engagée à ses côtés, jusqu'à la mort de celle-ci, à 27 ans, un matin de l'été 1937, en pleine Guerre Civile espagnole.
Le roman raconte l'arrivée en France de ces deux réfugiés juifs, elle allemande, lui hongrois. A une époque où le tout Paris intellectuel s'agite, au moment des querelles entre surréalistes et engagement communiste, à l'heure du Front Populaire et des mouvements fascistes qui viennent assombrir leurs 20 ans.
Il n'y a pas de faux suspense dans ce livre ; Gerda Taro va mourrir, elle le pressent déjà à l'heure du bonheur. Il y a de l'amour, une communion dans le travail de photographe de guerre, il y a l'engagement politique ; et déjà le goût du risque de Capa et Taro, l'envie d'être "présents" au monde.
C'est tout le travail de la romancière que de nous rendre plus proches, plus humaines, ces deux figures de l'engagement, qui forcent le respect et l'admiration. Ce sont les doutes, les souffrances de l'enfance, mais aussi l'antisémitisme, la jalousie, l'amour fou, la passion entre ces deux êtres entiers et décidés. Et puis il y a Paris dans les années 30 ; l'effervecense intellectuelle, la liberté naissante des rapports amoureux, l'égalité entre les êtres. Et Madrid ; le fascisme, les luttes intestines. Et puis, attendue dès les premières pages du livre, sa mort à elle. La mort de son amour. Cette mort qui, comme le suppose Susana Fortes, le poussera toujours à aller au devant des balles, comme s'il voulait s'en prendre une, comme si l'existence sans elle n'avait plus de saveur, comme s'il fallait qu'il en finisse, un appareil photo à la main.