C'est sans y croire vraiment que j'ai entamé ce livre d'Andreï Makine au titre ronflant : Le livre des brèves amours éternelles.
De courts chapitres qui, chacun, illustrent le propos de l'auteur, et relatent des moments fugaces et sublimes de la jeunesse ou l'adolescence de l'auteur.
Cette jeune femme, assise, un livre à la main, en bas des gradins d'où l'on observe les défilés organisés à la gloire du Régime, le visage baigné de larmes ; et plus loin, ces quelques bribes de conversation, captées au vol par le jeune Andreï : la mort de son amoureux sur un bateau de guerre, au loin, la fin d'un amour à peine vécu.
Et cette autre histoire, du vieil homme tuberculeux, qui crache son sang dans un mouchoir de soie ; qui aura passé plus de la moitié de sa vie en prison ou dans les camps de redressement de l'Union Soviétique, qui n'aura jamais lâché son combat, jamais dévié de la trajectoire de rebellion qui fut la sienne, et dont finalement on dit : "Il a été aimé...", comme si, ici, on dévoilait le véritable sens de sa vie.
Ou encore cet amour platonnique avec la douce Vika, qui dura un été seulement, et qui mettra à mal tous les idéaux de Makine.
Parce que ce livre, autant qu'un inventaire des histoires d'amour fondatrices, est aussi un livre sur l'initiation politique de l'auteur. Une fenêtre, un angle d'approche de ce que fut le régime soviétique vu par un jeune homme en construction. C'est la rudesse de ses jeunes années, passées dans un orphelinat d'Etat, et à peine dévoilée. C'est la naissance d'une conscience.
C'est sans y croire que je me suis laissée emporter par la prose de Makine, par ses souvenirs, son regard désabusé et, curieusement, toujours plein d'espoir pour cette société fraternelle, cette société idéale, à laquelle il a cru, et ne peut s'empêcher de croire encore. C'est parfois l'amour qui la fait naître, ou qui la détruit.
"Le statut d'amoureux libres s'apparentait à celui de vagabonds, de voleurs, de contestataires. Ce qui n'était pas faux : l'amour est subversif par essence. Le totalitarisme, même dans sa forme molle que notre génération a connue, avait peur de voir deux êtres enlacés échapper à leur contrôle."